2020

Projets en 2020: Projects in 2020

Inspiré par Edouard Manet, et dérivé de ses peintures, une petite série de portraits a été terminée en mai 2020. Le format, 40 cm x 30 cm, a été utilisé uniformément. Les visages tirés des peintures originales ont été réinterprétés et dépouillés du contexte et du «bruit» périphérique.

La série qui est intitulée Merci, Monsieur Manet était exposée au Relais de Mirepoix, un bel hôtel / restaurant de charme dans la petite ville de ce nom dans le département d’Ariège de France. Malheureusement, les restrictions covide ont empêché le spectacle de s’ouvrir. Mais il a ensuite été montré ailleurs en 2021.

Inspired  by Edouard Manet, and derived from his paintings, a small series of portraits was finished in May 2020. The format, 40 cm x 30 cm, was used uniformly.  The faces taken from the original paintings have been re-interpreted and stripped of context and peripheral ‘noise’.

The series which is entitled Merci, Monsieur Manet was on exhibit at the Relais de Mirepoix, a lovely boutique hotel/restaurant in the small town of that name in the Ariège department of France. sadly, the covid restrictions prevented the show from opening. But it was subsequently shown elsewhere in 2021.

 

Tableau de concordance des images

Table of Concordance of the Images

 

Xavier Malbreil – auteur, critique d’art et artiste – a fourni un commentaire sur ce projet pour accompagner la petite exposition:

 

Leslie Stratford – un passage.

Les portraits peints par Leslie Stratford pour cette exposition sembleront familiers à certains. Il ne s’agit pourtant pas de personnes connues du public, comme Leslie en a souvent faits. Il s’agit au contraire de personnages déjà peints, et pas par n’importe qui, par Manet.

La question que chacun se posera tout de suite, c’est de savoir pourquoi aller choisir, chez un peintre ô combien renommé, des modèles, alors que des visages, il y en a autant qu’on veut dans la rue, et que, emprunter des visages à un peintre aussi connu peut sembler au pire un acte de piratage, au mieux un hommage un peu vain.
Pour comprendre la démarche de Leslie Stratford, il faut poser deux axiomes :

1 : la peinture de portrait est la question centrale de la peinture

2 : en matière de peinture, l’imitation a toujours été un exercice hautement intellectuel.
Du premier axiome, il y a peu à discuter. Déjà les romains… etc… Déjà les égyptiens tardifs, avec les portraits de cercueil dits de Fayoun…etc… et déjà les maîtres flamands etc…Mais la peinture de portrait a toujours été tendue entre le souci de plaire au modèle, qui souvent payait, et le souci de l’artiste de réussir à saisir son modèle dans sa vérité, quelque peu flatteuse que soit cette vérité.
Le second axiome est plus compliqué à bien cerner. Pourquoi l’imitation ou l’inspiration de tableaux est-elle un exercice hautement intellectuel ? D’abord il faut rappeler que la copie d’après nature, puis la copie d’après l’oeuvre est au cœur de l’apprentissage pour un artiste, comme l’a théorisé Aristote, avec sa fameuse Mimésis. Mais il faut se mettre dans le cerveau d’un artiste. Oui, on l’a formé en lui disant qu’il devait imiter la nature, puis qu’il devait imiter les chefs d’oeuvres classiques, mais il ferait beau voir que notre artiste soit un simple artisan. Depuis Vasari, au moins, le peintre s’est dégagé des arts décoratifs, pour parvenir au rang des arts libéraux. Le peintre est un créateur – et même quand il imite ! Il imite, mais il fait mieux. Il s’inspire. Il interprète. Il révèle ce qui est caché. Il démarque, il questionne, il interroge. Il fait différemment. Il tire sa révérence, mais il tire aussi la langue.
Alors, allons-y de quelques citations ? La plus connue de toutes, écrasante, et elle suffira, c’est Francis Bacon, qui s’inspire du tableau de Velasquez, portrait du pape Innocent X, pour en donner 45 variations.

Dans cet exemple célèbre, nous avons toute la problématique que parcourt Leslie Stratford. Velasquez est connu pour être un peintre-psychologue, qui cherchait la vérité de son modèle pour la retranscrire sur la toile et révéler la nature profonde de la personne. Et Francis Bacon interprète ce portrait du pape Innocent X, en faisant de cet homme sévère et réservé un homme qui hurle, qui crie son angoisse, qui délaisse tout vernis mondain pour dire son absolue singularité.
Nous avons donc un premier peintre connu pour sa capacité à pénétrer l’âme humaine, Velasquez, et un second, Francis Bacon, habile à interpréter les intentions du premier et à en donner une lecture haute en couleur, un peu rock’nroll même.

Leslie Stratford, elle, s’empare des visages de Manet, ceux par exemple du déjeuner sur l’herbe, et elle les arrache de la toile, pour les isoler, les placer hors-contexte, et nous en offrir une interprétation. Mais quelle interprétation ? Et pourquoi Manet, ce peintre qui met à mal l’histoire de la peinture, puisqu’on ne sait pas s’il est le dernier réaliste, ou bien le premier impressionniste. Des premiers, il retient la précision du trait, la recherche de la vérité du modèle, et des seconds, il annonce la volonté d’aller vers une pure pictorialité, vers la couleur et la forme pour elles-mêmes.
Pourquoi Manet, en effet, ce peintre qui peut devenir embarrassant si l’on est un adepte des claires définitions, des frontières tirées au cordeau ?
Il faudrait poser la question à Leslie Stratford. La réponse, si elle ne la donne pas, se trouvera tout de même dans les portraits qu’elle a arrachés des tableaux de Manet, comme on arrache le souvenir d’un visage avant qu’il ne soit emporté par le temps. Comme on arrache aussi à un peintre majeur comme Manet l’aveu de ses intentions secrètes, de ses hésitations, de ce tourment secret qui anime les grands créateurs quand ils se savent à une charnière de leur art.
Leslie capte ces visages, et les posant sur une toile sans décor, et elle les amène parfois vers le réalisme, avec même un clin d’oeil à l’antique, et parfois elle les tire vers un idéalisme auquel tendaient les impressionnistes. En opérant ce balancement, elle fixe d’une part le moment de passage qu’incarnait Manet, et d’autre part elle donne au mot hésitation toute sa dimension. Elle creuse cette part de secret qui est en elle, cette part qu’elle seule peut connaître mais qui est après tout largement partagée, dans une  époque comme la nôtre, qui semble hésiter, ivre, au bord du précipice, entre l’agitation mortelle, et le calme olympien.

Xavier Malbreil – author, art critic and artist – provided a commentary on this project to accompany the small exhibition:

 

Leslie Stratford – A Passage.

The portraits painted by Leslie Stratford for this exhibition will seem familiar to some. However, these are not people known to the public, as Leslie has done often. On the contrary, these are characters already painted, and not by just anyone, but by Manet.

The question that everyone will ask themselves right away is to ask why go and choose, from such a famous painter, models, while there are all the faces you could want in the street, and that, borrowing faces from such a well-known painter may at worst seem like an act of piracy, at best a somewhat vain hommage.

To understand Leslie Stratford’s approach, two basic axioms must be considered:

1: portrait painting is the central issue of painting; and

2: imitation has always been a highly intellectual exercise in painting.

Of the first axiom, there is little to discuss. Already the Romans … etc … Already the late Egyptians, with the so-called Fayum coffin portraits … etc … and already the Flemish masters etc … But portrait painting has always been stretched between the concern to please the model, often the subject of a commission, and the artist’s concern to succeed in grasping his model in their reality, as flattering as that may seem.

The second axiom is more complicated to define properly. Why is imitation of, or inspiration from, paintings a highly intellectual exercise? First, we must remember that copying from nature, then copying from an artwork is at the heart of learning for an artist, as theorised by Aristotle, with his famous Mimesis. But you have to put yourself in the mind of an artist. Yes, we trained him by telling him that he had to imitate nature, then that he had to imitate classic masterpieces, but it would be nice to see our artist as a craftsman without pretence. Since Vasari, at least, the painter has freed himself from the decorative arts, to join the ranks of the liberal arts. The painter is a creator – even when he imitates! He imitates but does better. He becomes inspired. He interprets. He reveals what is hidden. He stands out, he questions, he informs. He does it differently. He shows respect, but he also sticks out his tongue.

So, let’s go for some references? Overwhelmingly, the most famous of all, and it will be sufficient, is Francis Bacon, who inspired by Velasquez’s portrait of Pope Innocent X, painted 45 variations.

In this famous example, we have the whole problem that Leslie Stratford has engaged. Velasquez is known for being a painter-psychologist, who sought the truth of his model to transcribe it on the canvas and reveal the true nature of the person. And Francis Bacon interprets this portrait of Pope Innocent X, transforming this severe and reserved man into a man who screams, who shouts his anguish, who abandons all his worldly veneer to reveal his absolute essence.

So, we have first a painter known for his ability to penetrate the human soul, Velasquez, and a second, Francis Bacon, skilled in interpreting the intentions of the first and in presenting them in vivid colour, a little Rock’nRoll even.

Leslie Stratford, hijacks Manet’s faces, those of ‘Dejeuner sur l’herbe’, for example, and tears them from the canvas, to isolate them, place them out of context, and offer us an interpretation. But what interpretation? And why Manet, this painter who poses a problem for the history of painting, since we do not know if he is the last Realist, or the first Impressionist? First, he retains the precision of the line, to find and define the essence of the model and, second, he declares his aim to move to the purely pictorial concerns of colour and form themselves.

Why Manet, in fact, this painter who can become problematic if one is a follower of clear definitions, of well-delimited boundaries?

The question should be asked of Leslie Stratford. The answer, if she does not give it, will still be found in the portraits she has torn from Manet’s paintings, as one tears away the memory of a face before it is washed away by time. As one also tears away from a major painter like Manet, the confession of his secret intentions, of his hesitations, of this secret torment which animates the great creators when they find themselves at a crossroads in their art.

Leslie captures these faces, and places them on a plain canvas without decoration, and she sometimes brings them towards Realism, with sometimes a nod to Classicism, and sometimes she pulls them towards the ideals of the Impressionists. With this balancing act, she fixes on the one hand the moment of passage that embodied Manet, and on the other hand she gives the word hesitation its full amplitude. She probes this secret part in herself, this part which only she can know but which is after all widely shared, in an era like ours, which seems to hesitate, drunk, on the edge of the precipice, between deadly agitation and Olympian calm.